Selon un cliché aussi buté qu’erroné et venu d’abord d’Engels, le protestantisme serait l’idéologie dont la bourgeoisie avait besoin pour couvrir d’un voile de piété le développement sauvage du capitalisme. « Je récuse expressément la possibilité de la thèse absurde selon laquelle la seule Réforme […] aurait créé l’esprit capitaliste. » Malgré ses protestations, Max Weber, le sociologue de L’Ethique Protestante et l’esprit du capitalisme, est constamment cité à l’appui de cette « thèse absurde ». On verra ici, comment la Reconquista hispano-catholique des Flandres au XVI° siècle, contre les protestants repoussés aux « Pays-Bas du nord », mobilise les arguments, anciens déjà, des franciscains et des dominicains, en faveur du commerce de l’argent. À l’avant-garde de cette reconquête, le corps d’occupation spirituel des jésuites - 3 000 frères pour 32 000 habitants, à Lille au début du XVII° siècle : un pour dix – et leur champion, Léonard Lessius de Louvain (1554-1623), « l’Oracle des Pays-Bas ». Quand il s’agit d’argent, tous les hommes sont de la même religion, selon Voltaire. Mais on verra en fin de compte qu’il ne s’agit pas tant d’argent que de puissance et des moyens de la puissance.
Le protestantisme associe l’efficacité économique à l’austérité personnelle : on gagne, on investit, on gagne encore plus, etc. Mais on ne dépense pas un sou pour soi. D’où cet art du clair-obscur porté à la perfection par la peinture hollandaise : la clarté de la réussite dans une obscure frugalité. Autant dire la première énonciation d’un oxymore devenu platitude : l’obscure clarté du développement durable, de la GPA éthique, du capitalisme responsable, de la croissance verte, etc. Une affectation d’ascèse et d’humilité tapie dans un luxe étouffé. Enfonçons la porte ouverte : une certaine hypocrisie. Tout ceci est-il donc protestant ? Y a-t-il chez Luther et Calvin une rupture théologique avec le catholicisme romain ou doit-on voir en eux d’énièmes réformateurs revenus à la lettre du message évangélique ?
« Soyez féconds, multipliez-vous, remplissez la terre et soumettez-là. Dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel et sur tout animal qui rampe sur la terre », enjoint le dieu de la Genèse au couple primordial.
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Les chapitres précédents de notre série Bleue comme une orange sont à lire ici :
Chap. 9 : Les huguenots à la conquête du (Nouveau) Monde
Chap. 8 : Jean Calvin et l’esprit de l’industrialisme
Chap. 7 : Premières scissions dans l’église.
Chap. 6 : Quand les bourgeois flamands inventaient la Commune.
Chaps. 4 & 5 : L’entrepôt général de l’univers et la révolution flamande.
Chaps. 1, 2 & 3 : Vues générales, orangisation agricole et lutte contre les eaux.
Illustration : L’Adoration de l’agneau mystique, Jan van Eyck, 1432, détail.