Qui se souvient de Rodolphe Saadé, l’armateur milliardaire et Marseillais de la CMA-CGM, dans le bureau de Donald Trump le 7 mars 2025, négociant l’accès aux ports américains contre 20 milliards de dollars d’investissements ? Il s’agirait de « rendre plus efficaces les opérations et les chaînes d’approvisionnement et accélérer la digitalisation » de la logistique.
Qui se souvient encore que son père Jacques Saadé avait racheté en 1995 la compagnie publique CGM grâce au soutien (déjà) du premier ministre Alain Juppé, de l’ancien ministre des outre-mers Jean-Yves Le Drian, des Marseillais Gaudin et Muselier, contre l’offre du clan Bolloré ?
Nos collègues du journal marseillais Le Platane s’en souviennent. Ils viennent de produire l’excellente enquête Marseille, tête de réseau global, des premières compagnies maritimes aux data centers qui pullulent sur le port – avec Saadé en investisseur de Kyutai, l’IA de son ami Xavier Niel.
Le Platane édite pour cette occasion son premier numéro papier (20 p., 4 €), dont voici l’avis de parution :
« Narcotrafic, règlements de compte, bouillabaisse politicienne, gabegie immobilière, football, rap, séries télévisées, soleil de plomb et vent fou : on en soupe, de Marseille, dans les médias autorisés. C’est en tout cas ce qu’en retient le très grand public. En dépit des fantasmes napolitains qui l’entourent, la deuxième (ou troisième, selon votre degré de chauvinisme) ville de France attire les curieux, depuis la jeunesse itinérante qui vient s’y encanailler dans ses quartiers alternatifs jusqu’aux touristes gavés de pagnolades, en passant par les Parisiens qui se plaisent, le « wouikène », à y vivre leur vie plus belle : artificielle, hors sol, grâce aux commerces et aux services de toute sorte. »
Au sommaire du premier numéro : les sujets piquants de la « Transition » marseillaise et de sa critique d’accompagnement emmenée par les alter-numéristes. On commande le journal en envoyant un chèque à l’ordre de BERENGER à : Le Platane, 12 rue Chabanon, 13 006 Marseille.
Les illusions perdues
Le passionnant chapitre dédié à L’avènement de la dynastie Saadé, armateurs 2.0 (où on lit au passage la passionnante histoire du conteneur de marchandises, support premier à la mondialisation) se lit ici :
On évoque aujourd’hui la CMA-CGM puisqu’au sujet Approvisionnement & Digitalisation, Saadé vient d’acquérir le média en ligne Brut. Son groupe « CMA Médias », déjà propriétaire de BFM, M6 ou La Provence, devient ainsi « la deuxième plus grande rédaction de France [et la première du secteur privé] avec plus de 1 600 journalistes » [1].
L’indépendance de ce média ne se pose aujourd’hui que si on oublie qu’il est déjà le ventriloque de Xavier Niel (Le Monde), François Pinault (Le Point), Saadé (au capital depuis 2023), la Banque Publique d’Investissement (l’État), etc ; qu’il tire 40 % de ses revenus de ses conseils et contenus publicitaires pour des clients aussi variés que Carrefour, L214 ou le gouvernement [2].
Pour une information indépendante, il faudrait en plus de Saadé, Pinault et Niel, déborder encore Ernotte & Veil (France Télé et Radio France), Bouygues (TF1), Bolloré (CNews), Dassault (Le Figaro), Kretinsky (Editis) et bien sûr Olivier Legrain, investisseur en médias indépendants pour un capitalisme de gauche, comme Streetpress, Reporterre, Mediapart, La Déferlante, Vert, Basta !, etc. Après quoi nous serons mûrs pour lire la grande œuvre de critique littéraire et journalistique de Balzac :
« Le talent, déjà si rare dans l’art extraordinaire du comédien, n’est qu’une condition du succès, le talent est même longtemps nuisible s’il n’est accompagné d’un certain génie d’intrigue. Balzac nous avait prévenus » (Les Illusions perdues, 1837-1843)