Les Soulèvements de l’industrie verte

vendredi 28 mars 2025
« Est-ce que ce monde est sérieux ? »
Francis Cabrel

Sincèrement, depuis L’Enfer vert en 2013, on n’a jamais vu autant d’écolos soutenir l’industrie lourde, de collectifs, syndicats, partis, et mouvements plus ou moins gazeux financer ou réclamer qu’on finance jusqu’aux plus gros pollueurs du monde, sous prétexte d’« écologie ».
On a raconté comment « Écolos » et « Insoumis » soutenaient la transition vers l’automobile électrique jusqu’à financer Rio Tinto et soutenir Imerys pour leur lithium [1]. Voilà que ArcelorMital, Vencorex et même Total deviennent dignes d’être défendus sous les mêmes prétextes. Ce que l’Ukraine ne parvient pas à réaliser, l’« écologie » y arrive triomphalement : former l’union sacrée autour des industriels.

Une louable manifestation se tient les 29-30 mars 2025 à Grenoble, contre l’extension des usines STMicro et Soitec, des usines de semi-conducteurs super stratégiques pour la « souveraineté » de la France, de son industrie de guerre et de son économie en général – projet soutenu par Eric Piolle, « maire écologiste de Grenoble ». Cette manifestation est organisée à l’initiative du collectif StopMicro, sur lequel se sont greffés les Soulèvements de la Terre. Le collectif dénonce les pollutions, les usages militaires, la numérisation de nos vies et – pour faire plaisir aux « Soulèvements » - l’accaparement des terres et la « transphobie ».
Sur l’affiche d’appel, dans les réunions, les textes et les sous-textes, partout flotte le spectre de Pièces et main d’œuvre, qui avait expliqué tout cela, voici vingt ans. Mais, problemos, leurs enquêtes sur les applications transhumanistes de l’ingénierie génétique seraient trop « sensibles » et la raison tactique exigerait de les boycotter ; quitte à signaler qu’à Grenoble, il souffle « un nouveau vent technocritique [2] ». PMO vient de raconter son ostracisation, avec tout l’art qu’on leur connaît de se faire des amis : « Une romance avec l’hydre (2) ».

JPEG - 57.5 kioDonc : les Soulèvements de la Terre (SdT) co-organisent à Grenoble une manif contre une usine numérique, mais sans PMO. Sans être à Grenoble, on voit d’ici ce qu’on y perd et ce qu’on y gagne. L’enjeu se réduirait désormais à défendre « 11 hectares de terres agricoles », tout en défendant l’usine voisine de Vencorex contre une menace de fermeture, en chœur avec tous les notables de gauche comme de droite. « Vencorex, Arcelor Mittal, Michelin, Auchan, Airbus, Valeo, mais également de nombreux secteurs du public… », la « lutte contre les licenciements dans l’industrie est une lutte écologiste », dit le tract qui n’est pas de la France insoumise. Il est signé conjointement par la CGT Total Énergies, les Soulèvements de la terre, les Amis de la Terre, et Extinction Rébellion. Puis relayé par Reporterre, le média de l’écologie [3].

Vencorex, Société coopérative d’intérêt criminel ?

Vencorex, c’est 450 emplois directs et peut-être 5 000 indirects. Que produit Vencorex qui soit digne d’être sauvegardé aux yeux des écologistes ? La CGT nous en offre le détail. On laisse tout, les missiles et les centrales :

« De Vencorex dépend donc un grand nombre d’entreprises et parmi elles, certaines dont l’activité est stratégique et assure la souveraineté nationale dans les domaines de la défense, de l’industrie spatiale, du nucléaire ou du sanitaire. Le sel, extrait des mines de Hauterives par Vencorex est purifié sur la plateforme de Pont de Claix qui autoconsomme et en revend à Arkema (Jarrie). Ce sel français, de pureté inégalée, sert à la production de chlore pour Arkema et à la production de perchlorate de sodium, source unique d’approvisionnement d’Ariane Group pour la fabrication du propergol chargé dans les boosters d’Ariane 6 et dans les missiles stratégiques M51 équipant nos forces de dissuasion nationales.
Le chlore produit sur la plateforme de Jarrie sert, entre autres à la fabrication d’éponges de Zirconium par Framatome, utilisées dans les réacteurs nucléaires civils [4]. »

Le tract des Soulèvements comme l’article de Reporterre sont publiés après celui de la CGT, en connaissance de cause. Précisons qu’on doit au seul Groupe Grothendieck de Grenoble de défendre contre Vencorex que « Nos vies valent plus que la chimie [5] » - plagiant au passage PMO [6]. À Pont-de-Claix près de Grenoble, après Fabien Roussel, Marine Tondelier et Philippe Poutou, Mélenchon, dont on n’a pas manqué les rodomontades contre l’industrie de guerre, crie aux portes de l’usine « Stop au sabotage industriel », et dénonce avec sa véhémence de plateau télé l’abandon de « pans entiers de la production, et surtout des endroits comme celui-ci, qui fabrique des composants nécessaires au carburant de la fusée Ariane [7]. »

À l’Assemblée nationale, ce n’est pas à un député communiste ou à François Ruffin, mais à l’« écologiste » de l’Isère, Cyrielle Chatelain, qu’il revient de déposer une « Proposition de loi visant à la nationalisation temporaire de Vencorex », rappelant son intérêt stratégique pour la « dissuasion nationale », les « missiles M51 » et Framatome. L’« écologiste » souligne combien – inspirez profondément :

« Par delà ses impacts économiques directs, le secteur de la chimie fait partie des secteurs clés de la transition écologique française. [...] À l’inverse, assumer l’externalisation de la production de produits stratégiques – comme le chlore ou la soude de haute qualité fournis localement par Vencorex, avec une empreinte carbone réduite – dans des pays peu soucieux des normes environnementales et sociales, contribuerait à l’aggravation de la crise climatique et de l’effondrement global de la biodiversité. »

Pour des raisons d’écologie, il est préférable de rejeter ici plutôt que là-bas du phosgène, du chlorobenzène, de l’ammoniac, de l’arsenic, des chlorates, des perchlorates – et des PFAS plus que toute autre usine chimique de la vallée lyonnaise. Et ce n’est pas tout, ajoutent les criminels de l’industrie verte :

« Au delà de la pérennité de Vencorex, les plateformes chimiques du sud-grenoblois offrent des potentiels uniques pour mettre en œuvre la nécessaire décarbonation de la chimie européenne et développer de nouvelles filières stratégiques comme la filière photovoltaïque ou la purification du silicium. »

Oui, du silicium pour que STMicro et Soitec fabriquent des semi-conducteurs à disposer dans des drones, des missiles, des voitures électriques, des caméras intelligentes, des compteurs Linky, et tout ce que les Verts défendent comme industries vertes [8].

De quelle couleur est l’acier vert d’Arcelor-Mittal ?

C’est bien connu, nos services de l’environnement n’ont rien de commun avec ceux des autres pays – quand ils en ont. Les nôtres, c’est la pointe du contrôle écologique, alors que les autres, c’est des gros nuls. Voilà pourquoi il vaut mieux polluer ici et empêcher les délocalisations.
Parce que : non, nos services de la répression des fraudes n’ont pas constaté à quatre reprises les manquements sanitaires de Buitoni avant que ses pizzas ne fassent deux morts et des dizaines d’handicapés [9]. Oh que non. Les betteraviers de Tereos n’ont pas provoqué la pire catastrophe écologique depuis vingt ans en dépit des multiples passages des inspecteurs de l’État [10]. Nestlé ne s’est pas arrangée avec la première ministre pour masquer la pollution de ses eaux aux pesticides et continuer ses traitements prohibés. Les agences de surveillance de l’air ne sont pas financées, dirigées, contrôlées par les pollueurs eux-mêmes, non plus qu’elles ne les préviennent des semaines à l’avance de leurs contrôles inopinés [11]. Non. Tout le monde n’a pas l’ASN, l’OFB, la DREAL, Atmo, la DGCCRF, l’ANSES, l’OPECST, la CNDP, l’Ademe, les agences de l’eau, les enquêtes publiques, les avis de l’Autorité environnementale, pour accélérer en conscience la sixième extinction des espèces.

Concurrence chinoise déloyale, prix de l’électricité, baisse de la production automobile, c’est la crise ! « L’Europe doit sauver son acier ! » s’époumone (tant qu’il a des poumons) Stéphane Séjourné, le représentant de la France macroniste à la Commission européenne [12].
C’est aux titres d’un meilleur contrôle et d’une meilleure législation qu’un front commun s’est donc ouvert pour sauver ArcelorMital à Dunkerque. Lutter contre les licenciements à Arcelor, c’est de l’écologie, même si l’usine rejette chaque année 2 800 tonnes de poussières, 5 000 tonnes d’oxydes d’azote, 4 000 tonnes de plomb, 5 000 tonnes d’oxyde de soufre, 6 000 tonnes de CO2 [13], étouffant grâce aux vents dominants les cours d’école jusqu’à Lille.

Alors que s’ouvre au même moment le procès d’Arcelor à Fos-sur-mer, pour « mise en danger de la vie d’autrui, faux et usage de faux, et atteintes à l’environnement », les écolos de Bruxelles et du Nord-Pas de Calais, par la voix de l’eurodéputée roubaisienne Majdouline Sbaï et de la secrétaire héninoise Marine Tondelier, rappellent combien « Grâce au Pacte vert européen, des investissements conséquents (800 millions d’euros) avaient permis d’écrire les premières lignes d’une nouvelle histoire. Celle de faire d’ArcelorMittal un site de production d’acier vert [14]. »

L’ écologie, fait nouveau depuis son apparition il y a cinquante ans, réclame le sauvetage du plus gros pollueur du continent. Même la revue Fracas, le média des combats écologiques, est venue à Dunkerque soutenir le projet de décarbonation d’Arcelor [15]. Car, outre sa décarbonation (alias nucléarisation), on attend de l’usine qu’elle livre l’« acier électrique » destiné aux batteries de voitures électriques, que les écologistes ont soutenu ardemment au motif du climat [16].
Après sa visite d’Arcelor à Dunkerque, Marine Tondelier a repris le train pour la séance du Conseil régional qui se tenait à Lille afin de déposer une motion de soutien aux salariés, et par là, à l’entreprise, à sa production, à son acier tant attendu. Est-il besoin de préciser que la motion fut votée par tous les partis politiques.

Récapitulons. La « transition », la « décarbonation », comme la « lutte contre l’accaparement des terres », imposeraient de soutenir la nationalisation de Vencorex, la stratégie industrielle d’ArcelorMittal, le lithium de Rio Tinto, l’électrification de Stellantis, les batteries et raffineries de Total/Saft, et tout l’écosystème électro-sidérurgique, de Fos à Dunkerque, en remontant par la Vallée du Rhône. Nous pensions le « développement durable » remisé définitivement avec les derniers zombies du PS ou des Verts, le voilà qui a repris vigueur moyennant quelques innovations langagières.

Tomjo
Illustration : La Gueule ouverte, mars 1973.

L’article au format pdf ici : PDF - 148.7 kio

Notes

[1« Transition : même les écolos financent Rio Tinto », Tomjo, Chez Renart, 2025.

[2Terrestres, 7 janvier 2025.

[3« Licenciements dans l’industrie : organisations écologistes et CGT font front commun », 23 décembre 2024.

[4Cgt.fr, 18 décembre 2024.

[5Lundi matin, 30 décembre 2024.

[6On leur doit d’avoir détourné le slogan du NPA « Nos vies valent plus que leurs profits », en « Nos vies valent plus que nos emplois ».

[7Ici Isère, 12 mars 2025.

[8Cf. Le cycle du silicium, Pièces et main d’œuvre, 2021, sur www.piecesmaindoeuvre.com.

[9« L’affaire de la pizza infanticide : le crime était industriel », Tomjo et Marius Blouin, 2024, Chez Renart et surwww.piecesmaindoeuvre.com.

[10« La betterave, la gauche, le peuple - et nous », Tomjo, 2023, Chez Renart.

[11« Atmo ou l’usine à gaz des industriels », tomjo, 2022, Chez Renart.

[12« Le plan de l’UE pour soutenir l’acier européen », Le Monde, 21 mars 2025.

[13La Voix du nord, 29 novembre 2023.

[14Communiqué du 19 mars 2025.

[15« ArcelorMittal : quand les ouvriers luttent pour la transition », février 2025.

[16Cf. Au nord de l’énergie, Tomjo et Marius Blouin, Chez Renart et Pièces et main d’œuvre, 2024.