Vous savez bien sûr que le Nord, de la mer aux Ardennes, de la Somme à… à quoi d’ailleurs ? a longtemps fait partie des Flandres et de ces pays, bas et vagues, qui, de Groningue en Picardie, ne cessent de s’unir et se désunir depuis vingt siècles, comme terre et mer au gré des marées. Mais saviez-vous que c’est d’ici, au moyen âge, qu’était partie la révolution agricole qui bouleversa l’Europe ? Puis cette révolution industrielle qui conquit l’Angleterre avant de gagner le monde ? Oui, oui, d’ici. Entre Arras et Amsterdam.
Saviez-vous que la Wallonie avait été la deuxième puissance industrielle du monde, tout au long du XIXe siècle ? Que le mot d’« usine » dérivait du picard « ouchine », traduction locale du latin « officine » ? Saviez-vous que ce mot s’appliquait aux premières machines hydrauliques que faisait tourner les moulins ? Que la première révolution libérale et bourgeoise de l’histoire, un siècle avant l’Angleterre, deux siècles avant celles des États-Unis et de la France, était partie en 1566 de Steenvoorde, Dunkerque, Lille, des révoltes iconoclastes contre l’Inquisition espagnole ? Saviez-vous que des réfugiés huguenots de la châtellenie de Lille avaient fondé New-York (La Nouvelle Amsterdam) et acheté l’île de Manhattan en 1624 ; qu’ils avaient importé le système manufacturier en France en 1665, fondé la banque nationale d’Angleterre en 1694 ; que la réussite drapière, bancaire, coloniale, politique et marchande des Pays-Bas en avait fait pour Marx « la nation capitaliste par excellence » ?
Oui, bon, vous savez tout cela, et il n’y a pas forcément de quoi être fiers. En revanche, découvrir qu’on a eu une histoire avant la « révolution industrielle » du XIXe siècle, suivre le fil et les rebondissements de cette histoire, aussi méconnue qu’importante pour le reste du monde est prodigieusement intéressant.
Entre beffrois et Bruegel, polders et draperies des Flandres, thèses d’histoire et de philosophie politique, nous avons reconstitué l’histoire de l’artificialisation du monde depuis le pays le plus artificialisé du monde : le nôtre. Une artificialisation qui va de pair avec celle des hommes. En fin de compte, serons-nous si surpris d’apprendre que c’est également ici, sur les décombres de la société industrielle et la catastrophe écologique, que se développe aujourd’hui une ingénierie high tech, afin de survivre dans un milieu rendu hostile par deux siècles de techno-capitalisme ?
Voici les trois premiers chapitres de l’enquête de Tomjo et Pièces et main d’œuvre sur l’orangisation du monde :
Dans les chapitres 4 et 5 de notre enquête sur l’orangisation du monde, nous remonterons l’histoire de la bourgeoisie flamande et néerlandaise, depuis son émancipation par la création des villes et des communes lors de la « Petite Renaissance » du XI° siècle, en passant par sa suprématie commerciale sur terre et sur mer, et jusqu’à l’instauration de la première république bourgeoise d’État à la fin du XVI° siècle en Hollande, une fois les Espagnols terrassés par une Armée des Gueux partis de Steenvoorde, Lille, Anvers, etc.
Tout cela, vous le verrez notamment en peinture ; comment les fêtes paillardes du Flamand Bruegel, de celles qui défient la morgue étatique et inquisitrice de l’Espagne, se refroidissent en quelques décennies chez les peintres flamands, tout à la gloire de leurs nouveaux commanditaires laïques, marchands, scientifiques, régents, et de leur domination des éléments.