Les opposants au projet Saint-Sauveur nous font le compte-rendu de leur passage au vernissage de l’expo "Villes vivantes", au Bazaar Saint So. Ils laissèrent une grue-cagette en cadeau aux organisateurs. Et nous offrent de profondes réflexions de San Antonio sur ce qu’il faut penser des "réceptions". Quelle générosité.
Nous voici donc une dizaine, portant notre grue en cagette vers le vernissage-cocktail de « Villes vivantes », au Bazaar Saint-So, juste derrière notre friche. A côté des archis, des urbas et des promoteurs qui comptent à Lille, les gueux sont vite repérés. Et d’abord par le directeur du Bazaar, Benoît Garet, qui nous attendait un peu énervé.
« Regardez d’abord l’expo avant de critiquer.
– On s’en fout de l’expo, ce qui nous intéresse c’est le contexte. Et pis t’as vu tes financeurs ? C’est les mêmes qui détruisent le vivant juste à côté. »
Bouygues, Vinci, Eiffage, Ramery, Vilogia, Nacarat, réunis pour célébrer la « réconciliation entre ville et nature ». La situation ne manque pas de sel.
On sent comme une nervosité au moment d’introduire notre grue dans l’expo. Restons calme. De toute façon elle ne passe pas la porte. Un débat de 45 minutes s’engage alors avec Benoît dont on vous épargne les finasseries. Nous on pense que son expo est typique du greenwashing de Lille3000, lui insiste que l’expo va dans notre sens.
D’ailleurs, c’est drôle, mais ce soir tout le monde trouve que « c’est très important ce que vous faites ». Même les représentants du cabinet Béal-Blanckaert, les urbanistes associés pour la ZAC Saint-Sauveur, à qui on distribue notre tract, trouvent que notre rôle est « important pour la démocratie ». C’est trop d’honneurs.
Ah, voilà Xavier Galand, le directeur de la Maison régionale de l’environnement et des solidarités, contributeur de l’expo. Il arrive souriant et vague à son aise entre les promoteurs, stylés en assureurs de province, costard et « cheveux de riche », et les « créatifs », archis tendance jean-baskets-tatouages. Parmi eux, le délégué à Saint-Sauveur pour la SPL Euralille, David Wauthy, qui nous avait suggéré le suicide collectif il y a quelques années, est un peu sur la retenue quand on lui tend notre tract. La soirée est exquise, elle le restera.
Il n’y a guère qu’Antoine Béal, l’urbaniste associé de Saint-Sauveur, à qui est cédé le micro pour mignoter les « partenaires », qui râle un peu. C’est qu’on ne l’entend pas jacter, tellement résonne l’environnement brutaliste verre et béton du Bazaar, dans la cacophonie de l’auditoire qui s’en fout – de ce qu’il raconte, comme de l’expo. Erreur classique de protocole : le bar est ouvert pendant les discours, et le Dj s’impatiente derrière ses platines. Alors chacun déroule ses vacances, devise sur les projets en cours, entre bétonneurs de la « ville morte ». L’important c’est d’être là, de voir et d’être vu, pourquoi pas au dessus des briques en terre-paille exposées comme preuves du renouvellement écologique de la corporation. Ça n’engage à rien. Va construire une fosse de plongée en terre-paille, toi ! Ou une cité administrative !
Au bout d’un temps, tout le monde a eu notre tract, et l’ambiance nous pèse un peu. Alors on va y aller. Mais avant de partir, on laisse notre grue à l’entrée. C’est cadeau. Un souvenir de la vie vivante qu’on trouve sur la friche. Dessus il est inscrit : « Vends maquette de rêve pour cauchemar en béton. » C’est simple et ça résume. Et puis les conclusions de Frédéric Dard, alias San Antonio, sur les « gnagnateries d’usage » dans ce genre de vernissage, c’était trop long. Mais comme on est généreux, on vous les livre quand même. C’est comme la grue, c’est cadeau :
« Rien de plus con qu’une réception, si ce n’est une autre réception plus importante. T’as une douzaine de mots à dispose qu’il faut absolument placer dans le laps de temps qui t’est imparti. Le premier d’entre eux est « merveilleux » : soirée merveilleuse, toilette merveilleuse, ambiance merveilleuse, buffet merveilleux ; et comme quoi c’est merveilleux l’à quel point tout est merveilleusement merveilleux ! Bande de cons ! Écrémés du bulbe ! Fornicateurs de trous d’évier ! Mais tu sais qu’il faudrait me haïr tout ça, mon pote ? Me l’empiler dans des fosses d’aisance en laissant une couche de merde au-dessus, pas qu’ils prennent l’air ! Ils sont dépravants, ces faisandés. Ils puent la venaison attardée ! Le chrysanthème flétri, le slip trop longtemps porté ! Heureusement que le temps les tue ! Mais ils repoussent ! C’est ça, l’horreur : ils repoussent, y compris du goulot ! »