A la recherche de l’écologisme métropolitain

vendredi 16 octobre 2020

En 1892, Henri Carrette inaugurait à Roubaix le « socialisme municipal ». En 2014, Piolle lançait de Grenoble l’écologisme métropolitain. Les Verts sont désormais à la tête de neuf grandes villes françaises parmi les plus ravageuses. Quelles sont leurs propositions concernant le développement urbain et les politiques d’attractivité ? Leurs métropoles seront technologiques et verticales, mais bienveillantes et inclusives. Voici les intentions et C.V. de sept d’entre eux.

Cet article est initialement paru dans le journal La Décroissance du mois de septembre, donc rédigé pendant le mois d’août.

JPEG - 158 kioLes métropoles sont les premières responsables du désastre climatique, chimique, nucléaire. Les « Gilets jaunes » en occupèrent les ronds-points et les centres contre la cherté des transports. Les élections municipales furent suspendues à une pandémie mondiale d’abord inter-métropolitaine. Aux diverses questions posées par l’organisation métropolitaine du capital, EELV répond « Vivre Lille », « Maintenant Lyon », « Pour demain Tours » ou « Réveillons Annecy ». Simples niaiseries ? Pas seulement : faire chiant donne des gages de responsabilité. Voici les nouveaux élus – pratiques, discours, CV.

Grégory Doucet, diplômé d’École supérieure de commerce, Lyon. Le Programme des écologistes lyonnais annonce la couleur bleue-verte. Des bonhommes enfantins, quasi asexués et aux traits résolument arrondis, entendent « propulser Lyon dans le XXI° siècle. » L’édito promet une « ville qui s’élance dans l’innovation scientifique, entrepreneuriale et sociale pour surmonter les défis de l’époque. » Par la fougue de l’écriture inclusive, le nouveau maire des « Lyonnais-e-s » s’insurge à la fois contre la « politique des petits pas », qui a bien assez duré, et « la soi-disant incompatibilité entre écologie et économie ». Tout « radicaux » qu’ils sont, les nouveaux tauliers ne vont « pas interdire la voiture », laisseront « plus de place aux piétons et aux vélos », et leurs marchés publics seront soumis à des critères « d’éco-socio-conditionnalité » [1].

Jeanne Barseghian, juriste, Strasbourg. Les trois mots-clés de la nouvelle « gouvernance » sont : « Collégialité, dialogue, bienveillance. » Que les insurgés contre le péril vert se rassurent : ils ne rouleront pas à 20km/h sur le périphérique ni ne présenteront de carences en vitamine B12. Si la première mesure de Barseghian sera une « Déclaration d’état d’urgence écologique », elle rassure tout de suite le patronat local que « économie et écologie sont compatibles » en installant « tous les acteurs du monde économique autour de la table [2] ». Parmi les mesures phares, une « éco-éga-conditionnalité » des marchés publics imposera des critères environnementaux et de genre à la croissance de Strasbourg.

Michèle Rubirola, médecin généraliste, Marseille. La ville la plus polluée de France compte sur elle pour devenir « capitale méditerranéenne des techs à impact positif. » La « Ville-Métropole », annoncée par la mafia précédente, serait une « promesse non tenue » que l’élue verte se chargera d’honorer. Car, quoi qu’on en pense, « le fait métropolitain existe », de Saint-Loup à Vitrolles. Mais un autre « rayonnement » est possible, qui reste pour Rubirola une « priorité absolue » malgré la marée de croisiéristes qui monte et descend la Canebière à la vitesse d’un cheval de réforme. Son rayonnement à elle s’appuiera sur des « pépinières » telles que La Belle de mai, usine « culturelle et créative » créée par ses prédécesseurs, et une « très large bande passante » qui offrira aux entreprises de la tech marseillaise un « avantage comparatif ».

Emmanuel Denis, ingénieur électronique, Tours. La singularité de M. Denis s’exprime par un soutien franchement osé à « l’économie de demain » qui réduira « l’emprunte écologique » de sa cité. Pour ce faire, il compte avant tout sur les « chercheurs » et les « entreprises » car Tours, voyez-vous, et c’est ce qui fait sa singularité (bis), a « besoin d’innovation », de « conforter la place de l’université dans la ville », de « poursuivre la politique de pôles d’excellence » pour ainsi « accompagner la transition écologique des entreprises par les low techs et le numérique en lien avec la recherche. » Greentechs et technogreen.

François Astorg, manager de données et de capital humain, Annecy. Face à un « urbanisme mal maîtrisé », cet enseignant à la Chambre de commerce de Haute-Savoie pense qu’une autre voie est possible pour que sa ville demeure « agréable » et, pour tout dire, « attractive ». Tout en maîtrise, le candidat de « Réveillons Annecy » suggère de « rehausser les constructions pour dégager une offre de locaux » aux entreprises et universités spécialisées dans la « mécatronique », et de « favoriser la hauteur de construction » des logements du centre-ville. Annecy se réveillera verte et verticale.

Pierre Hurmic, avocat, Bordeaux. Si le « catho basque » a le mérite d’une certaine verve, c’est pour défendre de bien plates verditudes. Alors que la ville étouffe dans les microparticules des Parisiens débarqués, Hurmic pensait encore en 2018 que « Magnetic Bordeaux », cette initiative d’« attractivité territoriale », « allait dans le bon sens » [3]. Jusqu’à ce que la quantité d’habitants (Bordeaux, « métropole millionnaire ») nuise à la « qualité » de leur vie. La démarche « qualité » de Pierre Hurmic se résume à « augmenter la densité » en construisant plus haut, et à miser sur « la modernité et la transition écologique » qui sont autant d’« éléments d’attractivité ». Attirer vert pour attirer plus pour verdir l’attraction. M. Hurmic fonde son utopie sur « l’écosystème » Darwin, une pépinière d’entreprises de la « green économie » peuplée de brunchers, de créateurs, et de startuppers, développée par un dignitaire du MEDEF local, les patrons d’une agence du pub, et dont le coordinateur était sur la liste EELV [4].

Eric Piolle, ingénieur, Grenoble. « Une équipe, un projet, un programme ». Le premier maire écolo d’une grande ville est, comme vous venez de le constater, le plus techno des maires verts. Ce militant de l’attractivité technopolitaine propose un « centre-ville apaisé et attractif » dans une métropole qui s’étale sur le plateau du Trièves et de chaque côté de la Chartreuse. Mais une métropole avec Conseil métropolitain élu au suffrage universel et déplacements en téléphériques [5]. Cet ancien dirigeant de start-up et ancien cadre de Hewlett-Packard est aujourd’hui à la manœuvre avec Anne Hidalgo pour présenter en 2022 une candidature social-écologiste, ou éco-sociale, selon la tête du candidat, et votre appétence pour les finasseries marketing.

À la recherche de l’écologisme métropolitain. En 1892, l’ouvrier tisserand Henri Carrette est le premier maire socialiste d’une grande ville, Roubaix. Il devient le symbole d’un « socialisme municipal » qui, en attendant la révolution, offre à une population miséreuse des services publics tels que les cantines, crèches, bains-douches [6]. Cent ans plus tard, l’élection de Piolle à Grenoble, puis de neuf maires verts de grandes villes, confirme la naissance d’un écologisme métropolitain détenu par cette classe particulière de la petite bourgeoisie intellectuelle qu’est la technocratie.

Le psychologue américain Abraham Maslow laissa, en plus de sa Pyramide des besoins, un marteau à son nom, selon cette loi : « J’imagine qu’il est tentant, si le seul outil dont vous disposiez est un marteau, de tout considérer comme un clou. » Pour un ingénieur, un technicien, un manager, bref un haut diplômé, la catastrophe écologique est un problème de process, d’organisation, de technologies. Elle ne réclamerait ni rapports de force ni conflits, mais « l’intelligence collective », et donc dépolitisée, d’une organisation efficiente de l’espace. La métropole verte sera verticale, connectée, pilotée par les ingénieurs. Sa « démocratisation » ne rendra pas de pouvoir aux gouvernés, dépossédés de tout et poussés à l’abstention par les spécialistes. L’écologisme métropolitain ne résoudra ni la question démocratique, ni la question écologique. Il ne fera que les compliquer.

Tomjo
Illustration : Eric Piolle inaugurant à Grenoble en 2017 le technopole de Schneider Electric dédié à la smart city et aux réseaux "intelligents", Place Gre’net, 2020.

Archives

Les Verts

Le Clampin libéré, mensuel du nord et du Pas-de-Calais, numéro spécial Municipales, 8 mars 1977. Pierre Mauroy est alors candidat à sa réélection et Pierre Radanne est le premier candidat écolo à Lille. Typiquement écologiste, Radanne est "spécialiste" des questions énergétiques, il deviendra président de l’ADEME et d’un bureau d’études sur les politiques énergétiques. Entre les deux tours de l’élection, sans consultation de ses colistiers, il négocie le report des voix écolos vers Pierre Mauroy contre ce qui est aujourd’hui la Maison régionale de l’environnement et des solidarités.
Le Clampin libéré fut un journal impertinent de la région lilloise, plus écolo-libertaire que gauchiste. On y retrouvait les dessins de Cenvint (Libé, Actuel, Rock & Folk, etc), ceux de Phil Casoar (Libé, Actuel, Fluide Glacial) et les articles de Jean-Luc Porquet (Actuel, Canard enchaîné).

D’accord, les écologistes sont les moins pourris de cette campagne municipale (ils sont même encore un peu mûrs), mais qu’est-ce qu’ils ont dans leur besace ? Que proposent-ils ? Pierre Radanne, tête de liste et permanent des Amis de la Terre, nous explique ça :
« Le premier point, c’est l’information. Il ne faut plus que les dossiers municipaux soient tenus secrets, que les projets de technocrates soient réalisés dans l’ombre. Nous réclamons un accès libre à toutes les informations que détient la mairie. Le second point, c’est le pouvoir. Il ne faut plus qu’une municipalité qui se dit socialiste refuse de partager son pouvoir avec les comités de quartier, qui devraient disposer d’un réel pouvoir de décision, et de moyens matériels pour assumer cette charge. Le troisième point, c’est l’orientation de la gestion. Privilégier la bagnole au détriment des transports en commun, déporter les habitants les plus démunis vers la banlieue, parquer les vieux, les immigrés et les nomades, raser les vieux quartiers pour y mettre des résidences de grand standing, refuser de soutenir activement les grévistes des entreprises lilloises, ne pas remettre en cause la consommation d’énergie, et dissimuler toutes ces actions sous un discours ouvriériste, tout cela va dans un certain sens. Nous voulons aller exactement en sens inverse : une société décentralisée, anti-hiérarchique, écologique est possible. Et cette société peut s’ébaucher au niveau de la commune : refusons le métro, n’installons au Diplodocus [aujourd’hui Le Nouveau Siècle, dans le Vieux-Lille] que des équipements sociaux et culturels, boutons la bagnole hors de Lille, contrôlons les opérations immobilières, agissons en liaison avec les syndicats d’entreprise, mettons en place des coopératives médicales, artisanales, utilisons l’énergie solaire et éolienne, refusons la logique du profit et du progrès, recyclons les déchets, réduisons la durée du temps de travail, surveillons ce que nous consommons, assainissons la Deûle,... etc »
On arrête là, parce qu’il continuerait à parler comme ça pendant des heures, ce bavard de Radanne... Pour entendre la suite, allez au 51, rue de Gand, au siège des Amis de la Terre !

Notes

[1Cf 20 Minutes, 15 juin 2020.

[2Public-Sénat, 3 juillet 2020.

[3Conseil municipal du 15 octobre 2018.

[4Voir L’écobusiness de Darwin, leur évolution et la nôtre, publié par Les Amis de Bartleby, 7 sept. 2017.

[5Cf. Retour à Grenopolis, Pièces et main d’œuvre, juin 2020.

[6« Les socialistes, la question communale et l’institution municipale : le cas de Roubaix à la fin du XIXe siècle », Rémi Lefebvre, Cahiers Jaurès, 2005.